Je n’aurais jamais imaginé…
Une simple boule de poils transportée dans un carton de bière pour découvrir ce qui serait son univers après les mois réglementaires de sevrage. C’était un jour de canicule et les tramways avaient un problème. J’avais traversé la moitié de la ville à pied, pressé de fournir un peu de flotte à la bestiole brinquebalée dans la boite en carton sous ce soleil de plomb. Arrivée tel un atterrissage d’ovni, avec dépose délicate par l’Homme dans ce repère ultime s’il ne fallait en avoir qu’un : la litière.
J’avais ma petite appréhension : jamais eu d’animal. Pas certain que ça n’ajoute pas à ma déprime toute fraiche d’avoir eu à fermer ma boite. Mais j’en étais au point où on peut se permettre des trucs sans garantis que ça fonctionne tant le quotidien est déjà noyé d’incidents et emmerdements. Le fait était que je détestais par apparence les chats mais jamais personne ne m’avait demandé pourquoi : j’avais la hantise d’une forte similarité de caractère, extrapolant jusqu’à une potentielle domination du chat devenu capable de m’anticiper. ]BP
Au premier soir ça a miaulé alors que j’essayais de m’endormir sur la mezzanine. J’ai pris mon t-shirt de l’après midi, attrapé la petite rebelle malheureuse, et ai posé le tout sur la canapé avec la ration de caresses qui va bien. J’ignorais totalement que cette forme disparue sur mon visage n’était qu’un des nombreux sourire que m’apporterait Ouane, à la regarder s’endormir instantanément dans un milieu plus connu, juste réconfortant.
L’origine de son nom ? Bah, quand j’ai dû choisir devant la portée j’ai essayé de mettre côté mon envie sur l’aspect malgré l’idée du chat noir tout bête. Alors j’ai demandé laquelle semblait la plus stupide du lot. On m’a directement indiqué Ouane, la dénonçant comme dernière capable de sortir du panier. Avec son 1 écrit par le motif de sa fourrure sur le front, j’ai tout de suite souri et validé mon choix. Un bon choix je pense.
Au soir du cinquième jour, à moitié bouffé par les songes j’ai été titillé par ces grattements en bas. Pas réguliers. Plus du genre « accroché / dérapage ». Avec le son particulier du bois de l’échelle de la mezzanine. J’ai eu beau protester, Ouane était déjà parvenue à cette zone où l’on arrive plus trop à avancer ni faire demi tour. J’observais ça de dessus. Émerveillé d’avoir plus de valeur qu’un canapé phéromonisé. J’attrapais la bestiole et lui faisait la morale un moment : « Bon, en admettant que tu arrives à parcourir tout ces marches raides plus hautes que toi jusqu’à la dernière, tu m’expliques comment tu redescendrais ? ». Elle me regardais avec ces yeux, ceux qui te disent qu’elle préférait 100.000 fois être là dans un cul de sac avec toi que s’éclater dans un parc de distractions vide de vie.
A ce stade j’aurais légitimement pu être gâteux mais ça n’étais que le début. Allongé sur le côté, je regardais la mini-meow parcourir la zone, redoutant une chute. Pire : une envie de caca ! Bref : mettant à plein régime mon usine à anticiper les emmerdements maximaux. Pendant que je pensais, la bestiole repérait sa meilleure zone et venait tout simplement se caler, pile au creux de ma main. Recherche de position ultra confort. Un petit nettoyage appliqué de sa mimine d’Humain plus tard j’avais quasiment tout le chaton lové dans la paume en train de s’endormir. Ce soir là, j’ai mis un polochon entre elle et moi, trop peureux de l’écraser en bougeant dans mon sommeil. De ce jour, elle a toujours dormi, quand personne d’autre n’était présent avec son humain, la tête dans la paume de ma main. Et j’ai toujours adoré son nettoyage, ses ronronnements s’estompant progressivement puis le poids de cette petite tête toute retenue s’alourdissant pendant qu’un grand sourire barrait mon visage avant que je ne m’endorme aussi.
Ce chat était bien plus qu’une compagnie. C’était la spontanéité qui redonne des couleurs au quotidien. Des conneries potentielles à anticiper, comme quand pendant 1 semaine malgré mes ongles complètement niqués j’ai dû lui apprendre à utiliser LA planche à gratter, et qu’elle a finalement compris ! Des discussions à coups de brèves requêtes ou plus profondes à coups de regards. Les séquences câlins, bien plus nombreuses que je ne l’imaginais avant qu’elles me manquent.
On imagine mal en fait comme un simple animal peut réguler une vie. C’est sans doute cliché mais la complicité dépasse une simple entente. Il y a un mimétisme latent mutuel. Une envie de se comprendre. Ça baigne d’amour tout ça en fait et on a véritablement un nouveau membre pour sa famille. Alors les séparations sont à la hauteur de la valeur…
J’ai fait piquer Ouane mercredi 21 février, après 20 jours à lutter contre un AVC que je n’avais pas vraiment remarqué. Le truc qui se passe dans la foulée, tu croises le chat ; tu le prends sur l’épaule pour un battle de câlins (dont on est devenu champions avec tout nos entrainements). Ça te fait un peu tourner la tête et tu reposes le chat, qui marche 2 pas et tombe sur le côté. Conscient, tu le relèves, il remarche 3 pas et se re-vautre. Toi tu venais juste te faire un café en cuisine et tu ne comprends pas. Alors tu relèves le chat qui part tranquille en titubant. Fin de la scène. C’était l’AVC.
Sont passés 7 jours sans que je ne remarque rien, si ce n’est une Ouane un poil plus collante qu’à l’habitude. Peut être des chaleurs. Mais au 7é j’ai remarqué ce truc : ses pupilles. Étrangement dilatées. C’est un truc que tu remarques quand tu as l’habitude de « parler chat », avec tes yeux donc. Les 8é je me suis réveillé avec un griffage XXL sur le bras, comme si Ouane s’était vautrée du lit pendant la nuit. Mais si elle avait été consciente, elle ne se serait pas rattrapée à son humain pour ne pas le blesser. Ce que j’ai considéré comme un mauvais rêve félin était probablement son second AVC. Dans l’après midi je l’ai réveillée et devant la flemme, bougé et posé parterre : elle a encore titubé comme le fameux soir. Quelques pages internet plus loin, je comprenais enfin ce qu’il se passait et l’amenais au vétérinaire.
De ce moment au 20é jour où nous avons défié la mort, j’avoue que je ne me suis pas occupé de grand chose d’autre qu’elle. Environ 15 heures par jour. Ma bestiole était terrorisée d’être devenue aveugle au 8é jour, scannant en permanence les contours (peu adaptés) de l’appart’ sans trop piger. Se postant figée dans certains angles (je comprenais plus tard que c’était une différence de température qui l’attirait). Grattant parfois certains culs de sac comme pour repousser cet interminable tunnel d’ombre en espérant une lumière derrière. Me cherchant. J’ai beaucoup pris de ce qu’elle ressentait et ça m’a retourné, d’où le temps non compté à m’en occuper.
La mort est une petite salope qui insiste dans sa mission. On peut lui semer un peu la merde dans son agenda mais à plus ou moins courte échéance : la conclusion est là. Personne n’y échappe. Je ne me suis même pas posé la question de vivre avec un chat handicapé ; Ouane était un bout de moi et je savais m’en occuper comme je saurai continuer de le faire. Au dixième jour j’ai été mis devant de nouveaux challenges dont un plutôt vital : la perte de l’odorat de Ouane. C’était déjà tragique concernant son alimentation, devenue indétectable et que j’étais seul capable de lui porter à la bouche. Mais je pense que ça l’était encore plus sur le fait de ne plus être capable de m’identifier à 100%. Ce jour là elle a perdu son humain original contre une version 1.5 l’imitant uniquement à base de sons et de contacts. Ça a fait très mal.
« Aucune souffrance » me disait la vétérinaire. Et moi je voyais ma petite boule d’amour régresser, perdue seule dans le noir sans même son humain d’origine pour un vrai réconfort. Elle ne miaulait plus du tout. Ne me léchait même plus faute d’identité confirmée. Dormait n’importe comment incapable de se repérer dans les cycles. Nous avons passé 5 derniers jours horribles où j’ai tout donné. Dormir avec. La nourrir à la seringue. La stimuler…
Quand tu arrives a ressentir les douleurs de ceux que tu aimes le plus tu sais qu’il y a des moments où on ne peut plus rien rattraper, si ce n’est prolonger une vie dans des souffrances qui ne se justifient pas et hélas s’approchent par accident de la torture. Même si elle avait continué de se nourrir, elle aurait végéter et entamé son physique. Et de toutes manières à plus ou moins courte échéance les pilules Félipil de Biocanina et leur super cancer auraient fini de ronger mon animal à coup de tumeurs. Un jour je vous parlerai de ce laboratoires de fumiers et surtout de ces maquereaux de pharmaciens qui, trop heureux de marger comme des porcs sur la pilule pour chats, délivrent ça sans ordonnance au nom du pognon qu’il vénèrent tant.
Quoi qu’il en soit il est inutile de se fâcher désormais. Merci ma petite Ouane d’avoir été ma famille ces 12 ans. De m’avoir surpris en entretenant dans mon cœur cet amour que je n’ai plus trop croisé depuis des années chez mes congénères. D’avoir été tout autant ce que j’attendais de toi que plein d’autres choses différentes. D’avoir été « mon médicament contre les merdes de la vie ». C’est toujours compliqué de désapprendre les choses qu’on faisait avec quelqu’un qu’on aimait. Moi cette meow, c’était ma fille et elle me manque grave. Et je n’aurais jamais imaginé désapprendre tous ces beaux trucs.
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